Le bouquet

 

  J'habitais à cette époque, une petite chambre meublée sous les toits de zinc parisien du quartier du Luxembourg.  J'étais étudiant, seul, peu argenté, et m'apprêtais à passer des mois d'été studieux dans la capitale assoupie.  Les divertissements étant rares pour mes goûts exigeants et les quelques amis que je possédais ayant filé, aussitôt achevé les examens, vers des cieux plus vastes et cléments, je me retrouvais face à moi-même, en ce début d'été, causant un monologue parfois monotone et sclérosant.
  J'avais erré longtemps ce soir là, sur les trottoirs de la ville, sans but, voyant se succéder les visages éphémères pour saouler mon vague ennui.  Elle avait surgi du cœur de la nuit d'une terrasse d'un café, l’œil sombre et la moue sensuelle.  J'avais surpris l'insolente impudeur des mailles d'une lingerie découverte et j'avais tout de suite été conquis par cette noctambule visiblement ivre qui venait de se raccrocher à mon bras.  Elle riait si fort et m'appelait «Léo» d'un air si familier et en même temps si attachant que je me laissai harponner et acceptai de guider cette infirme de l'équilibre.
  Le destin prend souvent des chemins détournés et se présente même de façon déguisée.  Il frappe à la porte et l'on ne reconnaît pas sous le masque qu'il arbore, une volonté opposée à ce qu’il semble exprimer.  Je ne devinai pas cette nuit là, dans cette jeune femme avinée, le plus grand amour que je vécus et aussi le plus tragique.
- Alors Léo, tu vas loin comme ça ? m'interpella-t-elle de son rire clair et heurté.
Elle s'accrocha à mon bras, je ne répondis pas, mais ne la chassai point, me contentant de sourire, interloqué et indulgent.  Des promeneurs nous dévisagèrent d'un air complaisant ou marqué d'une pointe indignée puis le flot se referma sur nous.
  - Eh ! Léo, j’te fais honte ? T’es coincé ou c'est le regard des autres qui t'embarrasse ? m’apostropha-t-elle puis soudain de façon appuyée, mais presque murmuré : Pourtant tu ne sais pas qui je suis... Tu ne me connais pas. Sais-tu qui se révélera quand se dissiperont les vapeurs de l'alcool... ? Ne te fie pas aux apparences…
  Elle était habillée élégamment et son langage décelait une bonne éducation. Je la soutins davantage, pressant un peu plus son bras contre le mien et inclinai la tête vers elle pour examiner sa physionomie.  Elle redressa le visage et se laissa observer.  Elle était fine, le regard était presque sournois, ténébreux, félin et noir, appuyé de sourcils inclinés qui s'effilaient sur les tempes.  Sa bouche charnue, semblait empourprée d'une morsure encore chaude.  Sa démarche était peu assurée, mais à nous deux, elle se contenait dans des limites assez régulières pour donner le change.  Et bien qu'elle fut singulièrement émoustillée, ses propos restaient sensés et faisaient preuve  même, de mesure et de sagacité.  Elle s'était pendue à moi, elle m'avait élu et ne paraissait pas du tout envisager de me lâcher de si tôt.  « Bah... ! me dis-je, elle aura mit fin à ma langueur nocturne. » Et du moment qu'une femme me plaisait, qu'importait ce qu'elle était...
- Pourquoi m'appelles-tu Léo ? me décidai-je soudain à m'informer.
- Parce que c'est amusant... Parce que c'est le nom de mon chat et que t'as son regard, dit-elle vivement.
  Elle tripota sa broche piquée dans son ensemble turquoise pour s'assurer toujours de sa présence.  Une mèche noire roula sur son front, elle la rabattit et planta son regard loin devant elle en allégeant la pression qu'elle exerçait sur moi.  « Enfin ! me dis-je, elle reprend ses esprits et son contrôle anatomique. »
  - J'ai donc l'allure d'un chat ? lui dis-je, et plus particulièrement du tien ?
  - Oui, vraiment, affirma-t-elle.
  Et subitement elle enroula sa main dans mon cou et m'embrassa avec une aisance si parfaite malgré la soudaineté qu'on nous eut pris indiscutablement pour un couple intime et complice depuis fort longtemps.  Je fus sidéré par ce si brusque témoignage d'affection, mais appréciai à sa juste valeur cet élan passionné que je sentais partager et entendais galoper du fond de moi comme des profondeurs des forêts pour surgir bientôt à la surface de mes gestes encore réservés.  Elle me sourit et fit pétiller ses yeux comme la mousse du champagne.
  Elle me mesurait, intuitivement elle jugeait mon âme, en auscultait les formes, l'étendue et la consistance comme les aveugles de leurs mains incertaines.  Les femmes d'un seul coup d’œil savent vous explorer un individu.  Aussitôt vous êtes passé au crible de l'analyse, inspecté, fouillé, décortiqué, pesé, et si vous ne donnez pas satisfaction à toutes leurs considérations, s'il fait trop clair en vous, immédiatement et sans retour, vous êtes jeté au rebut.  Mes yeux instinctivement se plissèrent, le modelé de mon visage se contracta et je sentis durant quelques secondes, l'incandescence du rayonnement de son système analyseur qui captait, classait, examinait les informations pour l'élaboration d'un verdict appliqué à ma valeur intrinsèque.  La chaleur cessa, le visage continuait à sourire et je compris que j'avais passé avec succès, l'épreuve de son filtre évaluateur.
  Je glissai ma main contre son bras et nous continuâmes notre promenade inspirée.
  - Tu es l'exception, me murmura-t-elle, je n'aime que les femmes...
  Et, voyant se dessiner mon air éberlué, elle continua :
  - Je suis lesbienne, minauda-t-elle.
 « De mieux en mieux, me dis-je, je ne connaissais rien aux lesbiennes, mais alors rien de rien.  J'avais toujours cru qu'elles étaient une espèce animale éloignée, vivant sur d'autres continents, certainement engloutis à présent, mais a priori j'avais été dans l'erreur puisque je traînais depuis déjà dix minutes, une créature qui se targuait d'en être un spécimen.  Mais comment aurait-on pu la reconnaître puisque rien ne la différenciait des autres femmes, du moins celle-ci précisément ? Je comprenais de moins en moins puisqu'en fin de compte, ce qui aurait du la distinguer eut été de ne pas marcher à mes côtés, le bras noué négligemment au mien comme les autres femmes.
  - Mais que fais-tu avec moi ? ne pues-je m'empêcher de répliquer.
  - Tu es l'exception, je viens de te le dire, rétorqua-t-elle.  Tu me plais, d'une autre manière que les femmes, bien sûr, mais tu me plais...
  Je la considérais à présent comme une espèce de monstre, comme un être infecté d'un virus invisible et terrifiant, une créature insondable et mystérieuse.
Mais j'étais si seul en cet été naissant et décidément elle me séduisait tellement que je ne pouvais pas ne pas surmonter des préjugés communs et absolument non fondés.  Puisque je l'avais charmée, quelle incompatibilité ? Et puis c'était elle qui s'était lancée à mon cou, je n'avais rien espéré, je n'avais rien voulu, je n’avais rien osé.  Je n'avais qu'à prendre ce que l'on m'offrait comme l'enseignaient avec tant de bon sens les philosophies stoïciennes...
  L'heure avançait et la fatigue freina peu à peu notre errance.  Elle m'accompagna chez moi sans hésitation et voulut boire encore, des alcools roux qu'elle aimait tant.  Elle n'était pas alcoolique car elle me disait s'en priver sans effort, simplement, elle avait parfois des accès de fièvre éthylique qui la jetaient l'espace d'une soirée, dans des abus d'ébriété.  Elle était enseignante, elle aimait la littérature et l'érotisme, et chaque mot, chaque phrase qu'elle lâchait dans la pénombre de la chambre, semblait allumer une facette supplémentaire de son personnage incernable.  Elle parlait dans la nuit et ses paroles s'échappaient comme l'éther par la fenêtre ouverte.  Je l'écoutais, captivé, chuchoter des choses confuses et parfois indécentes.  Sa voix veloutée coulait comme un petit ruisseau, comme l'alcool ambré qui s'infiltrait dans nos veines.  Elle était douce comme une hermine.  Hermine, ce nom lui convenait à merveille.
Son verre bascula et explosa sur le parquet en milliers de granulés translucides.  Elle m'attrapa par les épaules, se renversa sur le lit et m'embrassa à pleine bouche en m'enfonçant fougueusement sa langue entre les dents.  Autant de vigueur faisant suite à ces silences murmurés, à ces bruissements me déconcerta, mais très brièvement car aussitôt, je me jetai éperdument dans sa bouche effrontée et langoureuse.  Je tirai sur ses vêtements, dégrafant la tunique couleur de ciel, arrachant le soutien-gorge de dentelle noire, faisant glisser le Nylon des jambes, dénouant ses cheveux.  Elle riait, complaisante et aguicheuse.  Je l'aimais, je l'avais aimée tout de suite. Ma peau se desquamait d'impatience.  Je la désirais à l'état brut, dans toute la pureté de la pierre qu'on extrait du roc et qui jaillit, étincelante.  Je la déshabillai tout à fait, puis, comme elle tardait à me dévêtir aussi, je commençai par ôter mon tricot, déboutonnai mon pantalon et m'en débarrassai.  Je l'entendais haleter près de moi, étirée dans l'ombre, mais je ne la distinguais pas et ne parvenais pas à comprendre ce qui paraissait brusquement s'emparer d'elle.  Sa respiration s'intensifiait, s'accélérait et très vite, ses soupirs prirent une cadence saccadée et inquiétante.  Quelle souffrance ? Quel mal la terrassait soudain et la faisait souffler si violemment ? Maintenant elle gémissait, sa douleur s'amplifiait, ses cris à présent provenaient de ses entrailles, ils s'avançaient comme un cortège de vagues lourdes et inébranlables.  J'assistais à son agonie, impuissant, interdit.  Je bredouillai : «  Qu'est-ce que tu as ?  Tu as mal quelque part ? » Mes paroles se perdirent dans ses plaintes qui déchiraient les ténèbres comme des éclairs.  Je la regardai, pétrifié, incapable du moindre geste.  Je finis quand même par discerner dans l'obscurité, ses mains sur son ventre ou plutôt, plaquées entre ses cuisses.  Sa main droite oscillait vivement et tout à coup, son cri s'éleva dans la nuit chaude, décrivant une courbe exponentielle dans l'espace immobile.  Le silence tomba comme un voile.  Peu après, elle prononça d'une voix posée :
  - Je jouissais.
  C'est seulement là que je saisis ce qui s'était passé, et encore me fallut-il me répéter mentalement les syllabes pour en pénétrer le sens et ce qu'il signifiait pour moi.  Elle avait assouvi seule ce désir impérieux sans que je fusse un seul instant concerné, et j'avais assisté, éberlué, à ses ébats, sans réaliser ce à quoi elle se livrait.  Je n'avais été qu'un spectateur naïf et inducteur, qu'un catalyseur de son orgasme tortueux et pervers.  Comment pouvait-on avoir l'imagination assez scabreuse et retorse pour manigancer à quelqu'un un tour aussi odieux ? Sa respiration avait retrouvé un rythme ample et apaisé.  Elle étalait une béatitude souveraine, elle était satisfaite, comblée et elle m'abandonnait, là, comme une épave sur le matelas, encombré de mon désir gonflé et superflu.
  Mais je l'aimais d'une passion infinie, je me couchai alors le long de son corps et elle referma sur moi ses bras souples.  Je savais qu'en frappant doucement à l'huis, il arrivait que la porte s'ouvrît... Elle s'endormit vite, d'un sommeil entrecoupé de veilles où je lui murmurais la tendresse que je venais de découvrir comme une écume précieuse.  Elle me raisonna avec douceur, désirant me ramener à la sagesse et modérer mon ardeur qui devait la surprendre tout à coup et à laquelle elle se savait incapable de répondre. Mais rien n'y faisait, je m'accrochais davantage à chaque argument comme l'hameçon qui s'agrippe à mesure qu'on cherche à le dégager.  Elle était celle qui m'avait toujours manqué, la substance dont j'avais depuis si longtemps été privé.  Elle me taquinait et je fondais à sa voix comme la neige au soleil.  Au matin, le soleil inondait le parquet qui dorait ses écailles géométriques.  J'ai aspiré une fente de lumière aux lèvres d'Hermine qui me laissa cette fois, l'aimer comme le font les bêtes des bois et des océans.
  Plus tard, tandis qu'elle se coiffait, elle me dit :
  - Tu sais, je te sens encore en moi...
  - Comment ça ? dis-je.
  - Oui, tu sais bien... insista-t-elle.
  - Ah... ! fis-je d'un air entendu, mais je ne voyais toujours pas.
  Elle revint régulièrement par la suite, mais ses visites restaient tout de même espacées pour conserver cette distance à laquelle elle tenait tant ; je n'étais peut-être pas le seul, mais nous n'en parlâmes jamais.  Nous avions signé un pacte implicite qui était de ne jamais aborder la vie de l'autre qui finissait au seuil de ma chambre.  Je continuais de l'appeler Hermine par jeu et parce que nous aimions tous les deux ce nom là.  Nous passions la plus grande part de nos après-midi jetés corps et âmes dans la luxure, menant une vie diurne des plus dissolues. Après quoi, nous causions comme de vieux amis ; j'aimais l'écouter raconter son enfance, ses souvenirs comme cette maison provençale dont les principales images qui persistaient étaient l'ombre d'une chambre sous les volets tirés dans la torpeur silencieuse et un vase en faïence posé sur une table de bois.
  Nos relations et nos rencontres étaient toutes faites de douceur et d'attention pour l'autre.  Nos échanges s'effectuaient sur le mode suave.  Pourtant un jour, je découvris qu'autre chose existait derrière l'espace qu'elle m'avait réservé.  Nous discourions de la jalousie et je venais de lui dire que ce sentiment m'était inconnu quand elle commença d'une voix vibrante :
  «  Un jour j'ai aimé une femme à la folie, c'était un de mes professeurs.  Je l'aimais au-delà de l'imagination.  Je faisais tout pour qu'elle me remarque, mais elle ne voyait pas, elle ne voyait rien ou ne voulait pas voir.  Elle était très belle.  Un soir je l'ai surprise avec un homme qui était venu l'attendre et la jalousie m'a enflammée brusquement.  Elle crépitait sur ma peau, dans mon corps, je ne pouvais plus y mettre fin, c'était intolérable.  Je l'aurais tué ce type, et elle avec.  Ca me brûlait, ça m'embrasait comme du cyanure..." Elle s’arrêta un instant, reprit son souffle, ses yeux se consumaient encore rétrospectivement.  Elle enchaîna : « Il fallait faire quelque chose, je ne pouvais pas rester comme ça, attendre que ça se passe.  Alors je suis allée acheter un bouquet de roses rouges, les plus grosses, les plus rouges, j'en ai rassemblé une brassée. J’avais cherché son adresse dans l'annuaire.  J'y suis allée.  J'ai gravi les marches de son immeuble avec mon énorme bouquet écarlate et je l'ai écrasé contre sa porte, je l'ai déchiqueté, je l'ai lancé, je l'ai éparpillé, je l'ai fouetté contre le bois.  Les pétales tourbillonnaient comme des larmes de colère, comme des braises incendiaires et je pleurais aussi, j'avais le visage barbouillé.  Je l'aurai lacérée, j'aurais lacéré sa porte à coups de couteau.   J'étais en furie, j'étais hors de moi et je l'aimais tant !  Quand mes forces ont diminué, quand je n'ai plus eu entre les mains qu'une poignée de tiges rompues, j'ai dévalé les escaliers quatre à quatre en laissant derrière moi ce carnage, ce paysage de fleurs dévastées jonchant le palier de ma traîtresse passion amoureuse. »
  Hermine se détendit, le frémissement de son visage disparut puis elle reprit :
« Elle n'a jamais fait allusion à cet incident, mais je suis sûre qu'elle savait que c'était moi, et cela seul comptait. »
  Comme elle était entière mon Hermine, et déterminée et violente quand elle se sentait menacée.  Elle continua :
  « Tu sais la jalousie, ça te parcourt comme un courant, c'est un incendie contre lequel tu ne peux rien.  N'éprouve jamais ceci, me confia-t-elle, comme pour conjurer le sort. »  Et à ses yeux, je voyais bien qu'elle avait raison.

  Avec le temps, Hermine vint moins souvent.  Bien sûr, rien n'avait été convenu quant à la fréquence de nos rendez-vous, mais vraiment, les plages vides de son absence faisaient comme une dentelle malade des jours de ma vie.  Elle vint de plus en plus rarement, puis elle ne vint plus du tout.  Elle s'était lassée, elle ne puisait plus rien de ses visites, et comme ne nous liait que notre bon plaisir, elle rompit notre affection sans brusquerie, sans brutalité, simplement par l'espacement de ses venues.  Je l'aimais, mais j'étais bien obligé d'accepter le fait.  Seuls les sentiments commandaient, sa lassitude ne provenait pas d'une volonté propre et dirigée, elle était extérieure à elle et n'en dépendait pas.  Sa désaffection était le produit d'une fonction où elle n'avait aucune part comme l'individu n'est pas responsable de son système pileux ou hormonal.  Il me fallait accepter son délaissement comme on accepte l'automne après l'été, l'hiver après l'automne, sans maudire, sans regretter, sans souffrir.
  Et puis un jour pourtant, longtemps après, s’insinua le désir de la revoir pour contempler à nouveau, une dernière fois, ce visage tant chéri.  L'envie d'aller roder vers sa demeure s'imposait comme une obsession dont il fallait à tout prix me délivrer.  Pour rien au monde je ne me serais humilié à la rappeler, non, je voulais juste l'apercevoir, même quelques secondes pour me rassurer, pour savoir qu'elle allait bien toujours.
  N'y tenant plus, je sortis donc un soir et je poussai ma promenade jusque chez elle.  En bas, un square paressait sous les tilleuls, dans la poussière. Je m'installai sur un banc nonchalamment, mais tout de même suffisamment dissimulé pour ne pas être découvert.  J'allais m'en retourner quand, un peu avant la nuit, elle rentra.  Elle donnait le bras à une femme sculpturale dont la silhouette méditerranéenne ondulait à ses côtés.  Je ne distinguai pas son visage à celle-ci, mais je sus qu'elle était belle, étrangement belle, et je vis les yeux d'Hermine qui scintillaient de ses feux envoûtés, ils la buvaient cette autre, cette femme, cette gouine qui me l'avait prise, la mienne, mon Hermine, mon seul amour.  Alors je ressentis ce qu'elle m'avait dit avoir éprouvé avant moi, ce vent brûlant qui me déchirait les nervures et je faillis hurler, et je faillis me ruer sur cette masse dorée, cuivrée d'or et de soleil qui se penchait sur elle.  Mes tympans se crevaient. Elles s'engouffrèrent dans le hall et je restai là, immobile, pantelant dans le soir bleuté.
 

  Quand elles sortirent le lendemain matin, rayonnantes du jour qui s'accrochait au monde, quand je vidai mécaniquement le chargeur d'un revolver lourd et chaud et que les impacts des balles fouillaient leur corps en un froissement gélatineux tandis que le tissu de leur robe se marbrait de rouge vif, ce n'était plus moi qui décidais, qui dirigeais, qui visais, qui assassinais.  C'était la «jalousie» qui s'était échappée comme un génie malveillant et tout puissant.  C'était la «jalousie» qui venait de se matérialiser et de frapper.

  Comme elle avait raison, elle avait mille fois raison.
 
 
 
 

© Nérac, 1999

 

 

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