La
forêt est silencieuse, calme et tranquille. Mes pas font
crisser la terre sableuse du chemin. Tout de suite, je me sens
envahi par la douce quiétude de la végétation.
J’aime la forêt au cœur de l’été,
quand elle nous enveloppe de sa torpeur d’après-midi,
et qu’on perçoit la moindre branche, la moindre feuille,
comme alanguie dans la chaleur de l’air, lourd d’effluves
vertes. La cime d’un arbre frissonne parfois sous une brise
tiède, seul mouvement dans cet univers pétrifié
sous la canicule estivale. Je marche d’une allure de promeneur
tranquille, je prends mon temps. Mon regard s’enfonce parfois
sous les taillis, dans l’ombre de la forêt, dans l’espoir
d’apercevoir peut-être, un animal des bois. Je n’en
rencontre pourtant presque jamais… Le ciel, en haut, est
d’un bleu intense de fin d’été. La forêt
m’apaise. Je marche d’un pas régulier.
Tu mens. Je n’en suis pas certain, mais j’en suis
presque sûr. Et le problème vient justement de ce
doute. La certitude de ta mauvaise foi règlerait de façon
définitive ma conduite à tenir à ton endroit.
Lorsque tu es là, que nous discutons, que je te vois rire,
sourire et vivre, je n’éprouve aucune méfiance
à ton égard. Tout me semble clair et sans équivoque,
sain et sans calcul. Nous échangeons, avec de l’intérêt
mutuel, de l’affection, de la douceur et ce qui semble être
de la sincérité. Au téléphone aussi,
tout me semble parfaitement limpide. Alors, pourquoi tes textos,
tes emails ou tes lettres font-ils naître un sentiment indéfinissable
de fausseté ? En lisant tes lignes, dès leur première
lecture, je ne parviens pas à les croire. Qu’est-ce
qui est à la source de cet effet là ? Tes messages
peuvent me prodiguer des encouragements, source d’espoirs,
même des mots d’amour, mais je ne parviens pas à
les croire. Serait-ce justement parce qu’ils en disent trop,
beaucoup plus que tes actes, beaucoup plus que ce que le bon sens
devrait accepter et que je ressens ce décalage comme une
incohérence ? Non seulement, tu n’écartes
pas l’avenir d’un revers de main, mais tu te projettes
dans celui-ci en m’y associant. Tu parles de nous au futur
alors que je n’ose même pas y penser… Tu me
donnes à espérer un bout de chemin ensemble, tu
me fais miroiter des fantasmes sans tabou, et soudain tu disparais…
pour revenir ensuite. Puis tu recommences sans fin, ce petit jeu
cruel.
Comment savoir avec certitude que quelqu’un nous ment ?
Quels sont les signes qui nous indiquent avec certitude qu’une
personne nous ment, sur tel ou tel point, ou d’une façon
générale ?
Quand elle ne parvient plus à se recouper de façon
logique, quand les incohérences dans son récit se
font de plus en plus nombreuses sans qu’aucune explication
satisfaisante ne parvienne à les justifier. Là,
on en a la certitude. Là, on est fixé. Mais comment
faire tant qu’on n’a pas criblé quelqu’un
d’une pluie de questions judicieusement choisies comme on
encercle un joueur à la bataille navale ? On doit se contenter
d’incertitudes, car on ne peut compter que sur des impressions,
des sensations fugaces, des intuitions. J’en suis là,
et pourtant...
Je pense que tu mens. Tu mens car tes déclarations ne sont
pas crédibles. Tu n'as jamais dormi avec quelqu'un, dis
tu. Aucun homme n'est jamais resté dormir près de
toi une nuit entière alors que tu serais incapable de compter
leur nombre tellement il en est venu, m'as-tu avoué. Tu
n'as laissé aucun homme venir plonger ses lèvres
entre tes cuisses car c'était trop intime et trop donner
de toi, dis tu. Tu m'as pourtant laissé le faire. Comment
pourrais-je croire à cela ? Tu me racontes n'importe quoi,
des sornettes à n'en plus finir, des histoires abracadabrantes.
Tu en fais trop, beaucoup trop, c’est certain. Trop. Comme
trop beau pour être vrai… Comment puis-je te manquer
alors que tu es si peu disponible et mets si longtemps à
répondre à mes messages ? Tu m’affirmes m’aimer
alors que l’on ne se voit que très rarement parce
qu’il y a toujours une bonne raison absolument extravagante
qui t’en empêche. La distance kilométrique
qui nous sépare et qui n’est pas si grande en réalité,
ta fillette à qui tu ne veux pas me présenter pour
des raisons obscures, jusqu’à ma tiédeur politique
qui tranche trop, selon toi, avec ton engagement. Et tu affirmes
m’apprécier et m’aimer… Comment cela
pourrait-il être possible ?
Je me demande ce qui, précisément, me fait douter
si fort de tes mots, de tes phrases, de tes propos ? Sûrement,
d’abord, l’intensité de l’expression
de tes sentiments à mon égard. J’ai du mal
à croire à la véritable profondeur de sentiments
amoureux si prompts à naître, à des déclarations
si passionnées, et sans nuances. Je me méfie de
ce qui brille trop, l’expérience m’a démontré
maint fois que l’éclat trop vif des dorures trahissait
souvent du toc. Je préfère la simplicité
d’un amour prudent, réservé, mais fiable,
aux démonstrations tapageuses d’un soi-disant amour
soudain et violent. Qui fait d’autant plus de bruit qu’il
manque de sincérité, qui exprime d’autant
plus d’émotions qu’il en est démuni,
pour masquer justement, l’absence de celles-ci. Tu promets
beaucoup… mais jusqu’à présent, tu tiens
peu…
Tu ne m’aimes pas je crois, et de plus, en outrant des sentiments
absents, tu ne me respectes pas. Que tu ne m’aimes pas,
tu en as parfaitement le droit; je ne t’en aurais jamais
tenu grief. Car c’est bien un de nos droits élémentaires,
à tous, d’aimer comme bon nous semble. Et qu’aurais-je
eu à dire ? Rien. J’aurais pu continuer à
te parler, à te revoir même, peut-être, sait-on
jamais... Nous aurions pu continuer d’entretenir de bonnes
relations, même distendues ou lointaines. Même dans
l’absence, ton souvenir n’en aurait pas été
flétri. Mais me mentir, en tentant de me faire croire le
contraire, dans un but qui me dépasse, me blesse et me
fait te déprécier.
J’aime l’odeur de mousse, de discrète décomposition
de la forêt en été, mêlée à
l’infime respiration sonore faite des stridulations et des
crépitements des insectes. Les couleurs sont saturées,
les feuilles sont encore bien vertes et le soleil, par endroit,
fait des traits de lumière jaunes, orangés et verts
translucides. J’entends soudain comme des pas sur les feuilles
sèches. Je m’arrête. Un sanglier peut-être
? Je ne bouge plus, statufié au milieu du chemin. Seuls
mes yeux cherchent du regard la source des froissements. Et j’aperçois
une petite bestiole longue, à la tête pointue et
tâchée de blanc dans le cou, en train de fureter
dans les feuilles craquantes. Elle ne m’a pas vu. Elle inspecte
le sol. Une fouine ? C’est le seul nom qui me vient à
l’esprit, mais rien n’est moins sûr car je ne
connais pas précisément ces animaux… Je la
regarde passer, me demandant jusqu’où elle va avancer.
Puis elle tourne et remonte la pente. Elle passe derrière
une souche et finit par se perdre dans la végétation.
Il fait très chaud. Je préfère la forêt
à la mer. La mer est bleue, sa lumière acérée.
Le soleil s'y réfléchit. Il irradie, il éblouit,
il aveugle, il brûle. Et l'eau multiplie ses éclats.
J'aime la mer pour sa froide immensité, mais la forêt
me rend serein. Je marche et je te parle. Les fougères,
bien vertes, bordent le chemin. Je me sens à l'abri sous
les frondaisons, caché et seul. Je passe près des
pins et je respire plus amplement. J'aime leur odeur fraîche
et délicatement ambrée. Le sentier devient sableux
et les troncs verticaux s'alignent dans un rythme contrasté
d'ombres et de lumière. Dans le silence de la forêt,
mes pensées se démêlent et ma compréhension
des choses se clarifie souvent. Je te parle comme si tu étais
là et que j’avais décidé de t’exprimer
tout ce que j’ai sur le cœur.
Tu mens. J’en suis presque sûr. Il y a quelqu’un
d’autre que moi que tu vois, que tu reçois. Que tu
aimes ? Ça, c’est une autre histoire, mais avec qui
tu fais l’amour, c’est sûr. Tout est incohérent
avec toi, irrationnel. Je pense à tes messages. Et soudain,
c'est l'évidence : le mensonge se détache du sens
que forme chacun de tes mots dactylographiés, comme si
les lettres se dressaient hors de la surface blanche de l’écran
pour se réagencer dans un autre ordre qui signifierait
« Mensonges ». Ton message est dématérialisé
par son support numérique. Il a filé à la
vitesse de l’Internet, et seul subsiste son sens, seulement
le sens de celui-ci, débarrassé des affects, de
la gestuelle liée à l’oral ou de toutes les
caractéristiques personnelles qui font une écriture
manuscrite. Il a été filtré de son support
humain qui aurait pu l’habiller pour le masquer, l’enjoliver
pour le dissimuler. Et il m’énonce distinctement
que tu mens, que tu ne tiens pas à moi malgré l’affirmation
du contraire. Ça me saute aux yeux. Tu mens. Tu n’es
pas sincère. Ça n’est pas de la maladresse
car tu es intelligente et sais t’exprimer. Ce ne sont juste
que des mensonges. Et c’est le sens de tes messages qui
t’a trahi, uniquement celui-ci. Tu mens, pour jouer avec
moi, comme le chat joue avec la souris...
La végétation est figée dans le silence immobile
de l’après-midi, uniquement troublé par la
respiration ténue des brindilles sous un souffle léger
et par les crissements de milliers d’insectes invisibles.
Tu me mens. J’en ai maintenant la certitude. Je n’accepte
pas cela et, quels que soient tes retournements possibles, je
vais mettre un terme définitif à nos relations.
La forêt est calme. La fournaise est moins étouffante
sous les arbres. Une feuille rousse se détache et tourbillonne.
Une châtaigne dans sa bogue, sûrement, tombe dans
un claquement sec.
Je ne te reverrai plus.