arbres

 

 

 

 

Rencontre

 

  Elle a débarqué à la fin de l’été, dans l’appartement à côté, dans la maison que j’avais louée pour les vacances. Je rentrais de la forêt avec mes enfants où l'on avait été faire du vélo. En fait, c'était plutôt comme une belle journée d’automne, avec du soleil, un ciel bleu bien soutenu, et des feuilles d'or dans les arbres. Le temps qu'on s'absente, deux heures après, elle s’était installée seule avec ses mômes. Elle ne devait pas avoir beaucoup de bagages, sûrement le strict minimum.
Elle était d'une beauté ravageuse et je ne pouvais qu’être troublé. Elle avait ce côté félin à la Sharon Stone dans Basic Instinct, qui lui donnait des allures de bombe sexuelle. Cette fille m'impressionna. Elle était belle au point d'en tomber presque à genoux à chaque fois qu’on la croisait. Elle était fine, avec des proportions harmonieuses, un visage un peu effronté, décidé, une petite gueule un peu narquoise, et des yeux bleus flamboyants. Une aussi belle fille, j’en avais assez peu croisée de près. Je savais pas trop ce que ça pouvait faire. Je savais seulement que dans tous les cas, il fallait quand même un minimum d'accord mental. C'était évidemment loin d'être le cas idéal, cette fois-ci encore. Mais il y avait des choses qui m'attiraient… En tout premier lieu, bien sûr, le désir de posséder, ne serait-ce qu'une fois, ce beau spécimen de femme, à n'en pas douter, entreprenante. Elle se fringuait au petit poil, et le peu de fois où je l'avais approchée, il m'avait été difficile de résister à l'envie de me frotter à elle. Elle savait qu'elle avait du charme. Forcément. Et devait en jouer. Il me fut donné d'apercevoir le petit tatouage qu'elle portait à l'épaule gauche, et je fus presque sûr qu'elle s'était fait posé un piercing à la chatte.
Alors c'est vrai, beaucoup de choses nous séparaient, notamment les fureurs verbales qui s'emparaient d'elle lorsqu'elle houspillait violemment ses gamins peu désireux de respecter les règles de vie familiales, et surtout, son côté délicieusement vulgaire qui me repoussait autant qu'il m'attirait. Quand je l'entendais, par la fenêtre ouverte, et c'était quotidiennement, s'exprimer avec les intonations de Béatrice Dalle, ça me rassurait en me faisant penser que, malgré sa beauté parfaite, elle avait aussi des insuffisances, des manques, qui la ramenaient à un niveau plus humain.
J'entendais qu'elle regardait « Les feux de l'amour » l'après-midi, et je ne sais trop quoi à trois heures du matin. Je ne l'espionnais pourtant pas. Il m'arrivait de tendre l'oreille pour, peut-être, déchiffrer plus distinctement ce qu'elle pouvait hurler à sa progéniture, mais l’été était tellement beau qu'on entendait tout comme si on habitait ensemble. C'était bizarre, en fait, cette impression d'intimité et de la connaître assez, alors que nous n’avions guère échangé plus de trois ou quatre phrases. Elle était pas mal agressive, en réalité, mais malgré tout, elle ne parvenait pas à me devenir vraiment antipathique.
Des rencontres avec ce genre de fille ont été assez courantes, dans ma vie, autrefois, et ont toujours produit le même genre de situation surréaliste et douloureuse. La fille, jolie, ou même ravissante, est pas mal déjantée. J’arrive à la toucher par une espèce de grâce qui m'est donnée. Et je gagne alors le droit de faire un bout de chemin avec elle, le droit de connaître la texture de son épiderme. Moi, gros malin que je suis, j'en crois pas mes yeux d'être arrivé à mettre au fond de mon lit cette superbe créature. C'est comme si j'avais gagné la super cagnotte du Loto en jouant qu'une fois par an. Parce que, bien sûr, les très belles femmes ne m’ont jamais laissé insensible. Tant que, par le passé, j'ai été capable de bien des compromissions pour bénéficier de leurs faveurs. J'ai vraiment honte de cette faiblesse qui était à tout dire, une vraie lâcheté à la vérité. Donc, je vois plus rien d'autre que cette plastique, que ce petit cul fuselé dans lequel je viens me dissoudre. Ce qu'elle peut être, au fond, la fille qui l'habite, je le perds complètement des yeux. Je deviens aussi con que le dernier des flambeurs. J'en reviens pas d'avoir ramené cette pêche fabuleuse, et je me fais envahir par un gros sentiment de vanité : j'me sens plus ! Et qui plus est, j'ai l'impression d'en savoir bien plus qu'elle, et que ça me donne un avantage. Et c'est vrai, oui, j'en sais bien plus qu'elle. Quant à l'avantage, c'est une autre affaire... évidemment. Donc, je crois être le gros malin qui va lui révéler la bonne façon de s'y prendre dans la vie, mais en fait, je ne vais rien lui apprendre du tout. Car elle ne veut rien apprendre. Elle s'en fout, ça ne l'intéresse pas. Elle veut juste vivre sans se poser de questions, au coup par coup, au jour le jour, tendre la main vers le plus facile, et c'est tout. Et moi, la plupart du temps, malgré tout ce que je sais sur elle, je m'attache à elle, je me mets à l'aimer, et à oublier comment elle fonctionne, que ça marchera jamais entre elle et moi, que je vais me cogner contre un mur une fois de plus, au lieu de faire comme elle, d'en avoir rien à foutre, de la baiser tant que c'est possible, de l'enfiler sans voir plus loin que le bout de ma queue, et de lui dire tchao bye bye quand je l'ai pressée comme un citron.


Alors, celle-là, j'me dis, pas besoin de vivre vraiment avec, pour savoir de quoi il en retourne, pas besoin de la voir se faire tringler par un autre mec pour savoir qu'elle serait jamais seulement qu'à moi, et qu'alors, ça m'intéresse plus beaucoup. C'est pas seulement avec des écrits qu'on retient une nana, aussi bons soient-ils. C'est pas non plus parce qu'on a de la valeur qu'on peut l'intéresser, il y a tellement d'autres facteurs moins importants dans l'absolu, mais qui, au fond, pèsent nettement plus lourds dans la balance...
Alors, je la regarde passer. Intérieurement, je rends grâce à Dieu de tant de beauté. Celle-ci me fascine, j'en conviens, mais je me rassure, en pensant que si le reste ne suit pas, avec une fille pareille, on peut rien faire de bon vraiment très longtemps. Ca soulage ma frustration parce que c'est vrai. Je ne me le dis pas par dépit, je le pense sincèrement. Même si ce genre de fille est capable un bon moment, ça, je ne le nierai jamais, de vous envoyer franchement en l'air...


 

 

© Nérac, 2003

 

 

 

Table des matières