J’aime
les cartes postales anciennes d’un amour attendri, d’une
étrange tendresse un peu triste, d’une respectueuse
douceur pleine d’attentions. Quand je me plonge dans la contemplation
de ces images du passé, j’observe moins les lieux,
l’architecture ou une époque, que les gens, les individualités
qui posaient, là, ces vies enfuies, avec leurs rêves,
leurs secrets, leurs amours. Ces gens sont l’Homme, dérisoires
comparés à la fuite du temps, infimes fourmis, et
en même temps riches d’une inestimable valeur. Ils étaient
campés dans leur présent, convaincus de leur importance
comme je le suis, comme nous le sommes de la notre, et pourtant
ils ne sont plus. Quelle que soit la grandeur de ce qu’ils
accomplirent… Et en les regardant, j’ai l’impression
de me regarder moi-même. Ils étaient sûrs de
leurs monuments, de leur société, de leurs réalisations,
sûrs du temps présent et de leur immortalité.
Alors qu’ils nous paraissent souvent un peu ridicules dans
leurs costumes, dans leurs attitudes, dans leurs lacunes techniques
et scientifiques. A quelques exceptions près, ils ont tous
disparu comme nous disparaîtrons tous un jour pas si éloigné.
J’éprouve de la compassion pour eux comme j’en
éprouve pour moi qui rejoindrai un jour leur destin. Devant
ces visages oubliés, ces vêtements désuets,
ce passé maladroit, je ne peux que me demander ce qui est
important. Je questionne ces silhouettes : « Qu’est-ce
qui est important dans cette vie ? » Ceux-là peuvent
sûrement m’indiquer la réponse, au moins m’orienter
dans sa direction. Ont-ils eu raison de vivre leur vie telle qu’ils
la vécurent ? Ne se sont-ils pas trompés dans leurs
choix ? N’ont-ils rien à regretter ? Ces visages qu’on
devine, surpris l’espace d’un cliché, me font
m’interroger : « Et toi, occupes-tu bien ta vie ? Ne
gâches-tu pas ce temps précieux ? » Ces photos
me confrontent à ma propre mort. Je voudrais, lorsque je
serai près moi-même, de rejoindre les pâles images
des temps révolus, ne pas regretter l’essentiel de
la façon dont j’ai employé ma vie.