Citations
« On ne s’irrite pas contre le bâton, auteur
immédiat des coups, mais contre celui qui le tient ; or,
cet homme est tenu par la haine : c’est donc la haine
qu’il faut haïr. »
Santideva
(Maître Bouddhiste)
Conte
japonais
Un samouraï demanda à un maître Zen de lui
expliquer la différence entre le ciel et l'enfer.
Sans lui répondre, le maître se mit à
l'injurier abondamment. Furieux, le samouraï dégaina son
sabre pour le décapiter.
« Voilà l'enfer », dit le maître
Zen avant que le samouraï ne passe à l'acte.
Le guerrier, surpris par la justesse de ces
mots, se calma instantanément et remit alors le sabre
dans son fourreau.
Commentant ce dernier geste, le maître Zen
ajouta : « Et voilà le ciel. »
Histoires
de masques, récit du musicien
Jean
Lorrain
La terreur, c'est surtout de l'imprévu,
avez-vous dit dans un de vos contes et si les masques
contiennent autant d'épouvante, c'est qu'ils ont le
visage même du mystère, et que l'imagination peut tout
supposer derrière leur sourire de cire et de carton...
Il y a cependant pis que le faux visage colorié des
costumiers et des coiffeurs, il y a le visage humain
lui-même, le vôtre et le mien, celui de votre ami ou de
votre maîtresse, figés d'hypocrisie, masqués de
dissimulation, visages dont l'expression travaillée et
voulue peut tout à coup tomber, comme le loup de satin
du domino des nuits de carnaval ; et le rire
amoureux découvre alors un rictus de haine, le regard
assassine sous les paupières tout à l'heure encore
lourdes de volupté, et le baiser montre les dents...
Cette subite déchirure du voile..., cette brusque
irruption de l'âme, enfin affranchie, aux fenêtres du
sourire et du regard, où elle insulte et ricane, cette
sauvage et rageuse échappée de la haine et de la colère
hors de toute contrainte, cela c'est vraiment la tombée
du masque... et la détresse et l'effroi et le dégoût du
misérable amant ou ami témoin de cet ignoble
déchaînement d'instincts, il faut les avoir vécus et
soufferts soi-même pour pouvoir les comprendre. C'est à
la fois le visqueux d'un reptile et le gluant de la
boue, et le froid de la boue, de la boue de neige,
pénétrante et glacée, dans tout l'être en angoisse et
dans les veines et dans le cœur. C'est de la colère
aussi : la déception est si grande et c'est aussi
une amertume, un navrement immense, un désespoir de tout
avec l'atroce sensation d'un coup de couteau au cœur.
Or, cette détresse atroce de l'homme déçu, berné et
sombré dans l'épouvante, cette terreur devant le
surgissement de l'inconnu, je l'ai soufferte tout un
soir, et cela dans une circonstance et dans un décor
bien faits pour vous plaire...
Si
nous parlions d'amour ?
Raymond
Carver
-
Lequel d’entre nous connaît vraiment l’amour ? reprit Mel.
J’ai l’impression que nous ne sommes que des débutants
dans ce domaine. Nous disons que nous nous aimons et nous
sommes sincères, je n’en doute pas. J’aime Terri et Terri
m’aime, et vous deux, vous vous aimez aussi. Vous savez de
quelle sorte d’amour je parle, un amour physique, cet élan
qui vous attire vers telle ou telle personne, ainsi que
l’amour que vous éprouvez pour l’autre tout entier, pour
son essence même, à lui ou à elle. Il y a donc l’amour
charnel et… appelons ça l’amour sentimental, les liens
quotidiens qui vous attachent à l’autre. Mais parfois,
j’ai peine à comprendre que j’ai dû aussi aimer ma
première femme. Pourtant, je l’ai aimée, je le sais. Sur
ce point, je crois que je suis comme Terri, dans ses
rapports avec Ed. (Il réfléchit un instant et poursuivit.)
A une certaine époque, j’étais convaincu d’aimer ma femme
plus que la vie même. Mais à présent, je la déteste
radicalement. Comment expliquez-vous cela ? Qu’est devenu
cet amour ? Voilà ce que je voudrais savoir. Je serais
heureux que quelqu’un me réponde. Et puis, il y a le cas
de Ed. Oui, nous voici revenus à Ed. Il aime tant Terri
qu’il essaie de la tuer et que, pour finir, il se tue
lui-même. (Mel s’arrêta pour avaler une gorgée.) Et il y a
vous deux qui êtes ensemble depuis dix-huit mois, toujours
amoureux, cela se lit sur vos visages, vous en êtes
illuminés. Mais avant de vous rencontrer, vous avez,
chacun, aimé d’autres personnes. Vous avez été mariés,
chacun de votre côté, tout comme nous. Et si l’on remonte
plus loin, vous avez sans doute été amoureux avant de vous
marier. Terri et moi vivons ensemble depuis cinq ans,
sommes mariés depuis quatre, et ce qu’il y a de terrible,
oui de terrible, mais aussi de bénéfique, comme une
promesse de salut pourrait-on dire, c’est que si quelque
chose arrivait à l’un de nous, pardonnez-moi de parler de
ça, mais si quelque chose frappait demain l’un d’entre
nous, je pense que l’autre souffrirait un certain temps,
n’est-ce pas ? mais que le survivant ou la survivante
recommencerait ensuite à sortir, retomberait amoureux ou
amoureuse et ne tarderait pas à se remettre en ménage.
Alors, tout ça, tout cet amour dont nous parlons ne serait
plus qu’un souvenir. Est-ce que je me trompe ? Est-ce que
je divague ? Corrigez-moi si vous jugez que j’ai tort. Je
voudrais être fixé. Au fond, je ne sais rien du tout et je
suis le premier à l’admettre.
Les Trois Roses jaunes
Menudo
Raymond Carver
- Comment Oliver a-t-il pris la chose ? ai-je
demandé.
Et brusquement, je me suis aperçu que les propos que
nous tenions, nos visages tendus et inquiets
ressemblaient en tous points à ceux des héros de ces
feuilletons de l’après-midi dont il m’arrivait parfois
de capter quelques bribes en pianotant de chaîne en
chaîne.
Amanda a baissé les yeux et elle a secoué la tête, comme
si ça lui faisait mal au ventre de se rappeler ça.
- Tu ne lui as pas avoué que c’était moi que tu voyais,
n’est-ce pas ?
Elle a secoué la tête une deuxième fois.
- Tu en es bien sûre ? ai-je insisté.
Elle s’est enfin décidée à lever les yeux de sa tasse de
café.
- Ne t’inquiète pas, je n’ai prononcé aucun nom.
- Est-ce qu’il t’a dit où il allait et quand il comptait
revenir ?
Je n’étais pas fier de m’entendre poser des questions
pareilles. C’est de mon voisin, Oliver Porter, que je
parlais. Un homme que j’avais quasiment mis à la porte
de sa propre maison.
- Il est allé dans un hôtel, mais il ne m’a pas dit
lequel. Il m’a dit qu’il me donnait une semaine pour
prendre mes cliques et mes claques et m’en aller. Que
dans sept jours, il faudrait que j’aie disparu de sa
maison et de sa vie. Il y avait quelque chose de
biblique dans sa manière de me dire ça. Je suppose que
le huitième jour, il rentrera. Alors il faut qu’on
prenne une décision très vite, chéri. Il faut qu’on
saute le pas, ça ne peut plus attendre.
A présent, c’était à son tour de me dévisager. Et je
sais bien ce qu’elle cherchait : un signe qui lui aurait
dit que j’étais prêt à tout lui sacrifier. J’ai marmonné
: « Une semaine… », et j’ai baissé le nez sur ma tasse.
Les
liaisons dangereuses
Choderlos de Laclos
LETTRE
CXLV
La
Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont
Sérieusement, Vicomte, vous avez quitté
la Présidente ? Vous lui avez envoyé la Lettre que je
vous avais faite pour elle. En vérité, vous êtes
charmant; et vous avez surpassé mon attente ! J'avoue de
bonne foi que ce triomphe me flatte plus que tous ceux
que j'ai pu obtenir jusqu’à présent. Vous allez trouver
peut-être que j'évalue bien haut cette femme, que
naguère j’appréciais si peu; point du tout : mais c'est
que ce n'est pas sur elle que j’ai remporté cet avantage
; c’est sur vous : voilà le plaisant et ce qui est
vraiment délicieux.
Oui, Vicomte, vous aimiez beaucoup
Madame de Tourvelle, et même vous l'aimez encore; vous
l'aimez comme un fou : mais parce que je m'amusais à
vous en faire honte, vous l'avez bravement
sacrifiée. Vous en auriez sacrifié mille, plutôt que de
souffrir une plaisanterie. Où nous conduit pourtant la
vanité ! Le Sage a bien raison, quand il dit qu’elle est
l'ennemie du bonheur.
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